samedi 13 novembre 2010

Mid-term elections: leu jeu des 8 erreurs d'analyse (1ère partie)

Brillante analyse des récéntes élections de mi-mandat aux Etats-Unis (1ère partie), publiée sur le blog de la section PS de Sciences Po et
réalisée par nos camarades Thomas Ernoult et Bastien Taloc (ancien membre de la section du 7ème).
Il n’est pas facile d’être un « geek » de la géographie électorale, surtout lorsque l’on ne dispose pas d’outils aussi performants que John King et sa Magic map sur CNN. C’est donc avec les moyens du bord que nous vous proposons de revenir sur les résultats des mid-term elections qui se sont tenues le 2 novembre.

Quelles conclusions tirer des résultats ? Quelles implications possibles sur les marges de manœuvre politiques pour la Maison Blanche ?

Beaucoup a été dit sur ces élections, les médias insistant sur la défaite historique que représente ce vote pour Barack Obama et sur l’irruption des tea parties dans le paysage politique américain.
Mais pour mieux comprendre les enjeux de cette élection, il convient d’affiner l’analyse des résultats. Or une analyse plus approfondie conduit à nuancer largement les enseignements qui ont pu être tirés dans l’immédiat, notamment par les médias français. Voici donc un passage en revue des huit constats à relativiser, selon nous, au sujet des mid-term…

Le changement promis par Obama en 2008: du vent !
FAUX
-Cette affirmation n'est pas exacte, même si elle traduit légitimement une certaine impatience des électeurs démocrates de 2008 à la hauteur de l'immense attente suscitée lors de la campagne du candidat Obama.

S'il sera toujours temps de regretter certains compromis, liés aux pesanteurs partisanes et aux irréductibles contingences de la politique capitolienne, les membres démocrates du 111ème Congrès – ceux précisément qui viennent de perdre leur siège le 2 novembre dernier – ont bâti en deux ans une œuvre législative considérable. Faut-il souligner qu'il n'est pas nécessaire de chausser les lunettes de l'Obamaniaque lambda – il en reste encore – pour s'en apercevoir.

Quelques exemples importants parmi une kyrielle d'avancées.
D'une part, l'historique réforme du système de santé, votée par le Congrès et signée par le Président Obama le 23 mars 2010, entend apporter une assurance médicale à environ 30 millions d'Américains qui en sont actuellement dépourvus. En outre, la loi étend Medicaid (le programme gouvernemental de couverture maladie pour les plus pauvres) à 16 millions de personnes et régule plus fermement les assureurs privés. Last but not least, la réforme devrait réduire le déficit fédéral de 138 milliards de dollars sur une décennie selon le Congressional Budget Office. Le Président Obama a donc réussi là où Harry Truman et Bill Clinton ont passablement échoué avant lui.

Les effets de la réforme (dont les complexes dispositions courent sur plus de 2000 pages!) ne se feront pleinement sentir qu'à horizon de 2014. Cette réforme à retardement a d'ailleurs été un élément d'incompréhension supplémentaire pour les électeurs et une aubaine pour les adversaires du texte pour propager leurs éléments de désinformation.
D'autre part, il faut mettre à l'actif du Président Obama et de la majorité démocrate au Congrès la réforme Dodd-Frank de régulation du secteur financier (création d'un régulateur du risque systémique, meilleure protection des consommateurs via une agence unifiée de protection des consommateurs de crédit notamment, création de chambres de compensation pour les produits dérivés OTC, stratégies de faillite ordonnée pour les entreprises à dimension systémique, …) ou encore le plan de relance de l'activité (75 000 projets d'infrastructures lancés, dématérialisation des dossiers médicaux, énergies renouvelables encouragées, investissements massifs dans la recherche médicale fondamentale...).


La liste n'est pas exhaustive et témoigne de la prolixité législative du 111ème Congrès, aujourd'hui battu. Certes, tout cela n'est pas parfait et certains déplorent la timidité de certaines dispositions, et l'absence d'avancées dans certains domaines (notamment la question de Guantánamo, le statu-quo pour les militaires homosexuels à travers la règle « Don't ask, don't tell »).
Face à ces critiques, Barack Obama a rappelé lui-même lors de l'émission de Jon Stewart « The Daily Show » le 27 octobre que « yes, we can... but it is not going to happen overnight ». Autrement dit, le changement promis prend du temps. Un mandat ne sera déjà pas de trop.

Les Américains sont tous devenus républicains !
FAUX -
Comme tout vote sanction, le vote du 2 novembre mérite une analyse plus nuancée tant il ne traduit pas une adhésion totale au discours du parti qui en est le bénéficiaire.
La nuance est d’autant plus importante que cette élection a révélé un paradoxe : le parti gagnant est, selon les enquêtes d’opinion, aussi impopulaire que le parti au pouvoir (53% d’opinions défavorables).

Le discours républicain, qui repose finalement sur des recettes classiques (des baisses d’impôts et une réduction drastique des dépenses fédérales) et un rappel souvent purement incantatoire de ce que seraient les valeurs de l’Amérique des Founding Fathers, ne semble pas susciter l’enthousiasme des Américains.

Ce constat appellera sans doute chacun des acteurs de cette nouvelle « cohabitation » à la plus grande prudence, notamment si l’on en juge par les enquêtes d’opinion sur la position de l’électorat républicain concernant la nécessité ou non d’abroger la réforme de l’assurance-santé.

La réforme de la santé a coûté aux démocrates la majorité à la Chambre des Représentants.
FAUX -
La portée de la vague républicaine à la Chambre des Représentants est telle que pratiquement aucun candidat démocrate ne pouvait s'y opposer dans les districts considérés comme vulnérables. La poussée républicaine apparaît à bien des égards comme irrésistible.

A l'aune d'exemples topiques, il appert que les candidats sortants récalcitrants, tel Gene Taylor au coeur d'un district conservateur du Mississippi, ayant voté contre les réformes emblématiques de la première partie de mandat – plan de relance de l'économie, réforme de la santé, le projet de loi « Cap and Trade » – se sont aliénés leurs électeurs et n'ont pas fait mieux dans les urnes que les sortants démocrates pro-Obama, comme Tom Perriello dans le 5è district de Virginie.
La bravoure politique des premiers – cette posture de « maverick » que les Américains affectionnent – ne les a pas préservés de l'irritation populaire diffuse à l'endroit du bloc démocrate.

Sans doute faudrait-il nuancer et aller au-delà même du brutal décompte des défaites/victoires. L'observation de l'amplitude des défaites démocrates, district par district, est riche d'enseignements. Le travail d'Andrew Prokop, diplômé de Harvard, cité dans le New Yorker, est à cet égard étonnant. Prokop s'est appliqué à déterminer dans quelle mesure un candidat démocrate a sur-performé ou sous-performé par rapport un score moyen, compte tenu d'une référence (PVI: Partisan Voting Indexhttp://ps-scpo.over-blog.com/ext/http://cookpolitical.com/node/4201) signalant l'inclinaison partisane d'un district donné par rapport au reste de la nation. Pour Gene Taylor en l'espèce, le PVI de son district est de R+20: cela signifie tout simplement que lors de deux dernières élections présidentielles, les électeurs ont voté en faveur du candidat républicain avec un écart moyen de 20 points. Taylor ayant concédé la défaite avec 5 points d'écart, il a ainsi sur-performé.



Si on élargit le regard, on peut conclure – à l'aide du graphique ci-dessous – que plus un démocrate sortant a voté dans le sillon Pelosi/Obama, plus il a sous-performé par rapport à l'indice de référence.

Par contraste, le fait d'avoir voté contre les piliers de la politique Obama/Pelosi entre 2008-2010 n'a épargné de la défaite que 8 sortants démocrates: Mike Ross (AR), Jim Matheson (UT), Tim Holden (PA), John Barrow (GA), Jason Altmire (PA), Heath Shuler (NC), Mike McIntyre (NC) et Larry Kissell (NC).

Conclusion: non seulement la seule réforme de la santé n'est pas le Waterloo du Président Obama comme l'a clamé le sénateur républicain Mitch McConnell – les raisons de la défaite d'Obama sont davantage à chercher dans le ressentiment des Américains face à des indicateurs macro-économiques détériorés – mais, stratégiquement parlant, on peut même arguer qu'Obama aurait dû exploiter plus loin son avantage majoritaire durant les deux dernières années – en renonçant à sa volonté première, et vaine, de dialogue bi-partisan – pour progresser sur des réformes difficiles et désormais compromises. Les résultats de la semaine dernière n'en auraient probablement pas été beaucoup plus mauvais.

Le mouvement du Tea Party sort grand vainqueur des élections de mi-mandat !
FAUX -
De nombreux commentateurs ont, dès l'annonce des premiers résultats des élections de mi-mandat, saisi les victoires emblématiques de Rand Paul dans le Kentucky et de Marco Rubio dans l'État de Floride au Sénat pour en tirer la conclusion d'un assaut réussi de la nébuleuse du « tea party » sur le parti républicain. Rand Paul, lui-même, a parlé de « vague » dans son discours de victoire.

La réalité est plus contrastée. D'abord, quantitativement, on constate qu'environ 32% seulement des candidats Tea Party ont gagné leur pari. Pour le Sénat, sur les 10 candidats revendiquant des attaches avec la mouvance populiste, seuls Toomey en Pennsylvanie, Paul, Rubio, Johnson dans le Wyoming, Lee dans l'Utah ont été élus (les résultats en Alaska ne sont pas encore définitifs).
Cela ne doit pas dissimuler les échecs de Christine O'Donnell (et son abracadabrantesque « I am not a witch, I am You ») dans le Deleware, de Sharron Angle (en faveur de la suppression du ministère de l'Education) dans le Nevada face à Harry Reid ou encore de John Raese en Virginie Occidentale. Certaines voix autorisées se sont même émues de ce que les candidatures trop « extrémistes » validées par les primaires GOP avaient pu réduire les chances des Républicains de faire basculer le Sénat. A la Chambre, sur 130 candidats Tea Party, une quarantaine s'est imposée.

S'il ne s'agit pas de nier la portée de ces chiffres, il y a néanmoins lieu de s'interroger sur le point de savoir si le Tea Party a constitué un réel atout dans ces victoires du GOP. En d'autres termes, les candidats Tea Party ont-ils bénéficié d'une prime électorale par rapport aux candidats républicains traditionnels?

Revenons aux chiffres.
Un modèle utilisé par John Sides, professeur de Sciences Politiques à la George Washington University, met en évidence que l'affiliation au Tea Party a contribué positivement à l'élection des candidats républicains à hauteur de 1% de suffrages additionnels. Ainsi l'effet Tea Party est-il relativement minime.

On aurait donc tort de croire que les candidats Tea Party ont capté plus qu'une mauvaise humeur généralisée des citoyens américains. Le phénomène Tea Party est davantage une révélation médiatique (Sarah Palin et les mama grizzlies y ont contribué) que politique. C'est paradoxalement plutôt une bonne nouvelle pour l'aile traditionnelle du GOP, qui n'a pas intérêt à s'aliéner une partie des indépendants (très courtisés en vue de 2012) ni à se fracasser sur les rivages idéologiques de son aile la plus radicalisée.

Thomas ERNOULT et Bastien TALOC
leBloggers

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